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La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie subissent les réécritures russes de l’histoire

Mardi 13 février, le média russe en exil Mediazona révélait que le ministère de l’intérieur russe avait lancé des avis de recherche concernant, entre beaucoup d’autres, des personnalités politiques des pays baltes : la première ministre et le secrétaire d’Etat estoniens, Kaja Kallas et Taimar Peterkop, le ministre lituanien de la culture, Simonas Kairys, et de nombreux parlementaires lettons, tous mis en cause, selon l’agence russe TASS, pour « destruction et dégradation de monuments aux soldats soviétiques ». Une accusation dont Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, précisait la nature : « Il [leur] faut répondre des crimes commis contre la mémoire de ceux qui ont libéré le monde du nazisme ! »
Cette rhétorique est devenue à ce point banale qu’on finit par y prêter une attention distraite. Sauf que la revendication du rôle historique de la Russie est au centre de la stratégie géopolitique du régime, et il n’est pas anodin de voir le vocabulaire de l’antinazisme, constamment employé contre l’Ukraine, appliqué à la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, tous trois membres de l’Union européenne et de l’OTAN.
Pourquoi ces pays démontent-ils des monuments soviétiques ? Pour le comprendre, il faut remonter au 23 août 1939, jour de la signature du pacte germano-soviétique, dont un protocole secret divise l’Europe centrale et orientale en deux zones d’influence. L’Estonie et la Lettonie tombent dans l’escarcelle de l’URSS, et la Lituanie, d’abord attribuée au IIIe Reich, les rejoint fin septembre. Des traités d’« assistance mutuelle » sont signés sous la menace, suivis d’un envoi massif de troupes de l’Armée rouge dans ces pays jusque-là indépendants.
Les gouvernements baltes sont contraints d’organiser, en juillet 1940, des élections auxquelles seuls les candidats approuvés par les Soviétiques peuvent se présenter. Dans la foulée, les trois pays sont absorbés dans l’URSS. Bientôt, les déportations commencent. Dans un livre à paraître en avril, Déportés pour l’éternité (Editions de l’EHESS, 368 pages, 24 euros), les historiens Alain Blum et Emilia Koustova notent que durant cette période 12 682 personnes ont été déportées de Lituanie – sur 2,4 millions d’habitants –, 10 400 de Lettonie – sur 1,9 million – et 6 300 d’Estonie – sur 1,1 million.
La rupture du pacte germano-soviétique, en juin 1941, va entraîner une invasion allemande, et une occupation plus féroce encore. La quasi-totalité des juifs baltes sont assassinés, souvent avec la complicité de populations locales. Ce n’est pourtant pas un enjeu pour l’URSS, quand, à partir de 1944, elle reprend possession des trois pays. Les fameux monuments, qui commencent à s’ériger, commémorent les victimes soviétiques, sans distinction.
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